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Bonne lecture 🙂
Bonjour à tous !
Cet article fait partir d’une série d’articles portant sur la détoxification, cette capacité du corps à neutraliser et à éliminer des substances toxiques. La détoxification est associée à de forts enjeux sanitaires, car l’absence d’exposition significative à des polluants semble inatteignable dans le monde moderne.
Le premier article de la série se trouve ici : Détoxification des enfants : une nécessité. Après avoir traité de la nécessité de se détoxifier, puis présenter les différentes étapes du processus, le présent article poursuit la description des limites de la détoxification corporelle.
L’article précédent (Limites de la détoxification : une efficacité parfois réduite) a présenté les raisons pour lesquelles la détoxification corporelle peut parfois être d’une efficacité réduite, pour certaines substances et chez certains individus, en particulier chez les jeunes enfants. Elle présente une deuxième limite significative : en « métabolisant » (transformant) des polluants, certaines phases de la détoxification peuvent produire d’autres substances toxiques, parfois plus toxiques que les polluants initiaux [1-13].
Une détoxification qui peut créer de la toxicité ?
La phase 1 peut produire des substances oxydantes
Pour mémoire, de manière simplifiée, la phase 1 de la détoxification consiste principalement en l’ajout d’un atome d’oxygène, ce qui rend le polluant (chimiquement plus polaire, et donc) :
- plus hydrophile, c’est-à-dire plus soluble dans l’eau, pour potentiellement être déjà transporté hors du corps par les fluides aqueux d’élimination : la bile (intégrée aux selles, dans les intestins), l’urine et, dans une moindre mesure, la sueur ;
- plus réactif, pour que des molécules puissent lui être associées lors de la phase 2, afin de rendre le polluant encore plus hydrophile et de neutraliser sa toxicité.
Parce qu’ils sont plus réactifs, les composés issus de la phase 1 peuvent présenter une forme de toxicité [3, 14-16], car tant qu’ils ne sont pas transformés au cours de la phase 2, ils peuvent aussi plus facilement réagir avec certaines molécules de l’organisme (protéines, lipides…) et avec certaines parties de la cellule ; un effet direct sur l’ADN est également possible. Ces réactions peuvent conduire à des dommages, notamment par des réactions d’oxydation [3, 13, 17]. Dans ce dernier cas, on parle de substances « oxydantes » ou « ayant un potentiel oxydant ».
Dans certaines situations et pour certaines substances, les transformations de la phase 2 peuvent aussi générer des substances toxiques [16].
Les composés produits en phase 1 sont principalement des « dérivés réactifs de l’oxygène » (reactive oxygen species, ou ROS en anglais), connus pour leur pouvoir oxydant ; ils comprennent notamment des substances appelées « radicaux libres » et du peroxyde d’hydrogène (H2O2) [3, 6, 14-16, 18].
Ainsi, une exposition externe à une substance toxique peut conduire à une exposition interne à plusieurs substances toxiques. Par exemple, dans le cas du DEHP, un phtalate encore largement utilisé [3], l’organisme produit une quinzaine de métabolites [19].
La détoxification peut créer du stress oxydant et une inflammation chronique
Pour éviter que l’action des substances oxydantes ne conduisent à des effets sanitaires, le corps les neutralise avec des substances aux propriétés opposées, les célèbres « antioxydants ».
Parfois, le pouvoir oxydant de l’ensemble des dérivés réactifs de l’oxygène ne peut être compensé par des antioxydants [3, 20] : le déséquilibre obtenu est appelé « stress oxydatif » ou « stress oxydant ». S’il persiste, le stress oxydatif peut perturber la structure et la fonction des cellules ; ces dommages peuvent donc mener à des processus inflammatoires [21], s’ajoutant aux dommages et à l’inflammation potentiellement déjà produits par le polluant initial.
Si elle est bénéfique ponctuellement, l’inflammation chronique, tout comme le stress oxydatif chronique, peut conduire au déclenchement ou au développement de diverses pathologies [3] : l’implication de mécanismes inflammatoires chroniques est montrée pour le développement de pathologies cancéreuses (cancers des poumon, cerveau, sein, prostate, mélanome…) et pourraient aussi contribuer au développement d’autres pathologies chroniques : diabète, asthme, athérosclérose, troubles du système cardiovasculaire, certaines maladies auto-immunes) [18, 22-25]. Au niveau cellulaire, le stress oxydant se traduit notamment par une perturbation du fonctionnement des mitochondries (qui ont pour objet de produire de l’énergie) et par des dommages au niveau de différentes membranes : cellule, noyau, organites [18].
Comment agir sur le stress oxydant ?
La première bonne pratique qui vient en tête est celle qui permet d’agir le plus en amont possible : diminuer l’exposition à des substances toxiques, et donc diminuer la sollicitation de la détoxification corporelle, permet de réduire le niveau de stress oxydant.
En complément, maximiser la disponibilité de composés antioxydants permet de neutraliser le stress oxydant naissant, ou à défaut, d’atténuer les potentiels effets sanitaires associés. Dans ce cadre, l’alimentation portera de préférence sur des aliments peu transformés et riches en micronutriments, tels que [11, 12, 18, 26-40] : curcumine, flavonoïdes (quercétine, épicatéchines…) et autres polyphénols (EGCG…), acides gras oméga 3, silymarine, acide ascorbique (vitamine C), Tocophérol (vitamine E), thiols, coenzyme Q10, sélénium, cuivre, zinc, manganèse, pycnogénol, acide alpha-lipoïque. Inclure un maximum de fruits et de légumes, de couleurs intenses et variées (violets, jaunes, verts, oranges, rouges…), est un critère approximatif classiquement conseillé.
Le stockage préoccupant des polluants non-traités par la détoxification
Comme vu à l’article précédent (Limites de la détoxification : une efficacité parfois réduite), dans certaines situations, le niveau d’exposition à des polluants environnementaux peut dépasser les capacités de détoxification du corps ; et dans d’autres situations, les mécanismes de détoxification n’arrivent pas à métaboliser certains polluants : PCB, DDT, dioxines… Les substances non traitées par la détoxification peuvent alors être stockées dans diverses parties de l’organisme, en fonction de leurs propriétés chimiques [3, 9, 10, 12-14, 17, 41-48] : tissus adipeux (ex : polluants organiques persistants (POP)), os (ex : plomb, strontium 90), reins (ex : cadmium)… En isolant les substances toxiques qui ne peuvent être détoxifiées, ce stockage peut être compris comme une manière de protéger les tissus et les organes essentiels du corps : cerveau, gonades, utérus… [10, 13, 41-43, 47, 48].
Une fois stockées dans le corps, les substances toxiques non-détoxifiées produisent des expositions chroniques. Le risque sanitaire associé est aujourd’hui imparfaitement compris et évalué [9, 17].
Classiquement, la durée de ces expositions chroniques s’exprime par une grandeur appelée « demi-vie » plasmatique, qui correspond au délai au bout duquel la concentration dans le plasma (la partie liquide du sang) a diminué de moitié. Une demi-vie est spécifique à chaque substance, en fonction notamment de l’efficacité de la détoxification pour son cas spécifique ; typiquement, elle varie entre quelques heures (ex : Bisphénol A) et plusieurs (dizaines d’) années (ex : DDT, PCB, dioxines…) [3]. Ainsi, si on ingère une certaine quantité de PCB, il en restera encore la moitié dans l’organisme plusieurs années plus tard, alors que l’essentiel du bisphénol A ingéré aura disparu en quelques jours. Néanmoins, si l’exposition est continue (par exemple parce que la substance est présente dans l’air de l’habitation ou dans l’alimentation de routine), une substance avec une courte demi-vie peut aussi être présente en permanence dans l’organisme [3].
Une fois stockés, les polluants non-détoxfiés sont régulièrement relargués dans le sang, à faibles doses. Ce « stockage temporaire suivi d’un déstockage progressif » peut être compris comme une tentative de l’organisme de transformer des effets aigus (forte intensité sur le court terme) en des effets chroniques (intensité plus faible mais sur le long terme) [5, 9, 10, 13, 41-43, 49]. Cette interprétation est cohérente avec l’approche ancestrale : les mécanismes de l’évolution sélectionnent notamment sur la capacité des organismes à se développer jusqu’à être en capacité de se reproduire, ce qui pourrait donner une priorité moindre à la survie de long terme [5].
Références
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8. Gérin M, Gosselin P, Cordier S, et al. Environnement et santé publique – Fondements et pratiques. Edisem, 2003.
9. Marano F, Barouki R, Zmirou D. Toxique ? – Santé et environnement : de l’alerte à la décision. Buchet-Chastel, 2015.
10. Lippmann M. Environmental Health Science – Recognition, Evaluation, and Control of Chemical Health Hazards – second edition. Oxford University Press, 2018.
11. Crinnion WJ, Pizzorno Jr. JE. Clinical Environmental Medicine: Identification and Natural Treatment of Diseases Caused by Common Pollutants. Elsevier, 2018.
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13. Barouki R. Linking long-term toxicity of xeno-chemicals with short-term biological adaptation. Biochimie 2010 ; 92 : 1222-1226.
14. Kresser C. RHR: The Afternoon Sugar Crash, Green Smoothies, and Liver Detoxification. 2012. https://chriskresser.com/the-afternoon-sugar-crash-green-smoothies-and-liver-detoxification/. Consulté le 12/03/2019.
15. Barouki R. Journées ABIES 2012 – Rôle de l’adaptation biologique dans la toxicité chimique chronique. 2012.
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Photo par Practical Cures, babe_kl, Tony Alter