Le Principe responsabilité d’Hans Jonas (1/3)

La construction du risque comme fondement de la responsabilité est l’une des étapes les plus marquantes du progrès social. - Marceau Long

La construction du risque, c’est-à-dire de quelque chose qui n’est pas encore survenu, le fait que l’avenir devienne un déterminant du présent ; oui, je dirais que c’est un progrès dans l’histoire de l’homme. – William Dab

Bonjour à tous !

Cette série d’articles constitue une chronique du Principe Responsabilité (en allemand, Das Prinzip Verantwortung), écrit par Hans Jonas en 1979, et sous-titré « une éthique pour la civilisation technologique ». Ce livre, souvent considéré comme un grand classique de philosophie pratique, introduit la notion de responsabilité des générations présentes envers les générations futures, au regard de la forte capacité de destruction associée à la technique moderne ; Hans Jonas propose de faire de cette responsabilité un principe, une référence qui s’impose dès l’origine de toute action.

Hans Jonas attribue au Principe Responsabilité un large périmètre d’application ; en particulier, il me semble que ce principe a aussi un intérêt pour la thématique de ce blog, le lien entre santé des enfants et environnement ; qu’il peut aussi éclairer le pourquoi et le comment on agit dans ce domaine particulier. Pour nourrir les réflexions, je vous propose donc de mettre en regard certains passages du livre avec certains savoirs et pratiques de santé environnementale, présentées sur ce blog. Quand cela est pertinent, un lien vers un article permettra un second niveau d’approfondissement.

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Principe responsabilité Hans Jonas

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« La responsabilité n’a jamais eu un tel objet, de même qu’elle a peu occupé la théorie éthique jusqu’ici. Le savoir, aussi bien que le pouvoir, étaient trop limités pour incorporer l’avenir plus lointain dans la prévision, bien plus, pour inclure la planète entière dans la conscience de la causalité personnelle. Plutôt que de deviner vainement les conséquences tardives, relevant d’un destin inconnu, l’éthique se concentrait sur la qualité morale de l’acte momentané lui-même, dans lequel on doit respecter le droit du prochain qui partage notre vie. Sous le signe de la technologie par contre, l’éthique a affaire à des actes (quoique ce ne soient plus ceux d’un sujet individuel), qui ont une portée causale incomparable en direction de l’avenir et qui s’accompagnent d’un savoir prévisionnel qui, peu importe son caractère incomplet, déborde lui aussi tout ce qu’on a connu autrefois. Il faut y ajouter le simple ordre de grandeur des actions à long terme et très souvent également leur irréversibilité. Tout cela place la responsabilité au centre de l’éthique ».

En santé environnementale, ce passage me semble faire écho à plusieurs aspects :

  • le constat d’une pollution généralisée de l’air, de l’eau, du sol, des aliments…, au niveau mondial [1], ayant des impacts sanitaires très significatifs, en particulier pour les personnes vulnérables comme les enfants ;
  • l’observation que ces impacts sanitaires touchent les enfants actuels et les enfants à venir : les effets de certaines substances peuvent persister ou apparaître plusieurs générations après l’exposition ; on parle d’« effets transgénérationnels » [4-6] ;
  • la persistance de certaines pollutions environnementales historiques. Par exemple, des polluants interdits depuis des décennies sont encore mesurés dans l’environnement et dans les corps humains, dont celui des femmes enceintes : DDT, PCB…
  • l’irréversibilité de certains effets : si une substance chimique a perturbé le développement de certaines parties du corps, il n’y a pas de seconde chance de développement pour rétablir ce qui n’aura pas pu être construit en son temps (« only one chance») ;

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« Si donc la nature inédite de notre agir réclame une éthique de la responsabilité à long terme, commensurable à la portée de notre pouvoir, alors elle réclame également au nom même de cette responsabilité un nouveau type d’humilité – non pas une humilité de la petitesse, comme celle d’autrefois, mais l’humilité qu’exige la grandeur excessive de notre pouvoir qui est un excès de notre pouvoir de faire sur notre pouvoir de prévoir et sur notre pouvoir d’évaluer et de juger. Face à ce potentiel quasi eschatologique de nos processus techniques, la méconnaissance des effets ultimes devient elle-même la raison d’une retenue responsable – le second meilleur bien après la sagesse elle-même »

En santé environnementale, ce passage me semble faire écho aux effets des substances chimiques de synthèse : plus les connaissances progressent, plus on trouve de nouveaux effets sanitaires, inconnus au moment de la mise sur le marché. Par exemple, au cours de la seconde moitié du 20e siècle [2], les pouvoirs publiques sont successivement passé d’une gestion par l’absence d’effet puis, après avoir découvert que certaines substances cancérigènes n’ont pas de seuil d’innocuité, à une gestion par un risque jugé « acceptable ». Aujourd’hui, d’autres effets potentiels ont été identifiés (perturbations du système hormonal, sensibilisation…) et les méthodes actuelles d’évaluation ne permettent pas de quantifier les risques associés : certaines réglementations récentes portent donc sur les dangers [3], c’est-à-dire sur la capacité intrinsèque de la substance à causer des dommages, sans évaluer les risques réels. Par exemple : interdiction des produits Cancérigène, Mutagène, Reprotoxique (CMR) 1 et 2 dans les matériaux de construction, réglementation européenne sur les pesticides interdisant les perturbateurs endocriniens, etc. Et quels nouveaux effets allons découvrir dans les années à venir ? [7] Est-ce vraiment nécessaire de produire et de commercialiser autant de nouveaux produits chimiques par an ? Au regard de cet historique de « méconnaissance des effets ultimes », il me semble que l’Industrie de la Chimie manque de l’humilité évoquée par Hans Jonas.

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Principe responsabilité Hans Jonas1

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« Un autre aspect de l’éthique nouvelle de la responsabilité requise pour un avenir lointain et requise pour se justifier face à celui-ci, mérite d’être mentionné : le doute quant à la capacité d’un gouvernement représentatif de rendre justice à ces nouvelles requêtes en suivant ses principes ordinaires et ses procédures ordinaires. Car ces principes et ces procédures permettent seulement à des intérêts actuels de se faire entendre et de faire sentir leur poids et d’exiger d’être pris en considération. C’est à eux que les autorités publiques ont des comptes à rendre et c’est de cette manière que le respect des droits se réalise concrètement (à la différence de leur reconnaissance abstraite). Or « l’avenir » n’est représenté par aucun groupement, il n’est pas une force qu’on puisse jeter dans la balance. Ce qui n’existe pas n’a pas de lobby et ceux qui ne sont pas encore nés sont sans pouvoir : c’est pourquoi les comptes qu’on leur doit ne sont pas encore adossés à une réalité politique dans le processus actuel de décision et quand ils peuvent les réclamer nous, les responsables, nous ne sommes plus là. »

Dans le jeu des négociations et des lobbyings au cours des prises de décisions politiques, les générations futures et leurs intérêts ne sont pas représentées. A tout le moins, leur représentation indirecte par certaines ONG me semble présenter un poids trop faible dans les décisions actuelles, comme par exemple à l’occasion de la définition des critères réglementaires en Europe pour les perturbateurs endocriniens [3, 6]. A mon sens, ce constat :

  • suggère que l’action des pouvoirs publics est et restera insuffisante pour assurer un environnement sain aux générations futures ;
  • invite chaque parent et encadrant d’enfants à agir à son niveau, afin de les protéger des pollutions environnementales et de les (re)mettre au contact de la nature.

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La suite de cette chronique se trouve ici Le Principe responsabilité d’Hans Jonas (2/3)

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Références

  1. Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Global Chemical Outlook (GCO). 2013.
  2. Gaille M. Santé et environnement. Presses Universitaires de France 2018.
  3. Horel S. Intoxication. La Découverte 2015.
  4. Marano F et al. Toxique ? – Santé et environnement : de l’alerte à la décision. Buchet-Chastel 2015.
  5. Cicolella A. Toxique Planète. Le Seuil 2013.
  6. Demeneix B, Slama R. Endocrine Disruptors: From Scientific Evidence to Human Health Protection. European Parliament Reports, 2019
  7. Colborn T et al. L’homme en voie de disparition. Terre Vivante 1997.

Photo par Ben Brooks

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