Comment le corps se dépollue : détoxification, phases 0 et -1

Le vrai médecin est le médecin intérieur. La plupart des médecins ignorent cette science qui, pourtant, fonctionne si bien. - Albert Schweitzer

Les humains n'ont pas évolué en tant qu'espèce isolée : les humains et les microbes associés ont co-évolué en tant que "super organisme". - William Parker

Bonjour à tous !

Cet article fait partir d’une série d’articles portant sur la détoxification, cette capacité du corps à neutraliser et à éliminer des substances toxiques. La détoxification est associée à de forts enjeux sanitaires, car l’absence d’exposition significative à des polluants semble inatteignable dans le monde moderne.

Le premier article de la série se trouve ici : Détoxification des enfants : une nécessité. Après avoir traité de la nécessité de se détoxifier, ainsi que des limites des barrières biologiques, le présent article poursuit la présentation des mécanismes de détoxification du corps humain.

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detoxification phase 0 et -1

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Les articles précédents (Comment le corps se dépollue : détoxification, phase 1 ; Comment le corps se dépollue : détoxification, phases 2 et 3) ont décrit le système corporel de détoxification. Ce système vise notamment à rendre les polluants lipophiles (c’est-à-dire facilement solubles dans les graisses et difficilement solubles dans l’eau) suffisamment hydrophiles (à l’inverse, facilement solubles dans l’eau et difficilement solubles dans les graisses) pour que ces polluants puissent être évacués par les fluides d’élimination du corps : la bile, l’urine, la sueur… qui sont des fluides principalement constitués d’eau.

Le processus de détoxification se déroule en trois phases principales :

  • la « phase 1 », dite de « fonctionnalisation », consiste principalement en l’ajout d’un atome d’oxygène au polluant initial. Le « métabolite » obtenu est plus hydrophile et plus réactif ;
  • la « phase 2 », dite de « conjugaison », consiste principalement en l’ajout de diverses molécules, afin de neutraliser et de rendre encore plus hydrophile le métabolite issu de la phase 1 ;
  • la « phase 3 », dite d’ « élimination », consiste principalement à évacuer le métabolite issu de la phase 2 :
    • d’abord hors de la cellule, en traversant la membrane cellulaire ;
    • puis hors de l’organisme, grâce aux fluides d’élimination (bile, urine, sueur…), par les émonctoires (intestins, reins et système urinaire, peau…).

En complément de ces trois phases conventionnelles, certains auteurs suggèrent que des actions ayant lieu en amont, et fortement liées au processus de détoxification, pourraient être considérées comme des phases complémentaires.

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Détecter et coordonner les réactions : une sorte de phase 0 ?

Au cours du processus de détoxification, les transformations du polluant initial ont principalement lieu à l’intérieur de certaines cellules, celles possédant un maximum des enzymes utilisées par les réactions de détoxification des phases 1 et 2.

L’entrée dans une cellule, au travers de la membrane cellulaire, est effectuée par des protéines membranaires appelées « transporteurs », dont certaines sont aussi utilisés en phase 3. Ce transport à l’entrée dans la cellule est parfois appelé « phase 0 » [1-3].

Dans certains cas, des polluants sont ensuite directement évacués vers l’extérieur de la cellule (c’est-à-dire « transportés » en sens inverse), sans la métabolisation des phases 1 et 2. Certains auteurs appellent ce phénomène la « phase 0 transport » ou aussi « phase 0 » [1, 4-8], ce qui peut prêter à confusion ; cette phase pourrait porter sur des polluants peu réactifs et déjà suffisamment hydrophiles.

Enfin, d’autres auteurs appellent « phase 0 » le processus ayant lieu avant l’entrée dans la cellule, c’est-à-dire les actions des protéines du complément (cf. Comment le corps se dépollue : détoxification, phase 1) [9] : en effet, la plupart des enzymes et transporteurs des phases 1 à 3 sont créés et régulés en fonction des informations issues de la détection par les protéines du complément. Et comme ce processus est la première réaction corporelle après la pénétration de polluants dans l’organisme, avant les réactions de la phase 1, l’appeler « phase 0 » fait sens.

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En résumé, comme son nom l’indique, la « phase 0 » serait un ensemble de réactions en amont de la phase 1, le périmètre de ces réactions étant variable d’un auteur à l’autre. De mes lectures, je retiens une idée clé : pour que la détoxification corporelle fonctionne bien, les polluants doivent pouvoir atteindre et pénétrer dans les cellules ou la métabolisation a lieu. En particulier, la « porte » que constitue la phase 0 doit être bien ouverte.

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detoxification phase 0

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L’action du microbiote : une sorte de phase -1 ?

La peau et les muqueuses sont directement en contact avec l’extérieur de l’organisme. A leur surface se trouve un ensemble de microbes, appelé microbiote. Le microbiote le plus étudié à ce jour est le microbiote intestinal.

Ces microbes ont une influence sur les interactions entre le corps et les polluants environnementaux, en amont et en aval des phases 0, 1, 2 et 3, encore largement incomprise [40]. En particulier, ces microbes pourraient [10-18] :

  • modifier la structure chimique des polluants. Les métabolites correspondant peuvent être moins toxiques ou plus toxiques que le polluant initial [19-22, 40]. Par exemple, dans le cas de l’arsenic, un régime riche en fibres s’est avéré générer moins de métabolites toxiques ;
  • influencer le fonctionnement des barrières naturelles du corps, notamment leur capacité d’absorption. Par exemple, un déséquilibre du microbiote intestinal (dysbiose) est associé à une plus grande perméabilité intestinale [23, 40] ;
  • contribuer à la production d’enzymes utilisés en phases 1 et 2. Par exemple, d’après des études in vitro, des acides gras à chaîne courte (butyrate…), produits par l’action du microbiote intestinal sur certains types de fibres, peuvent induire la production d’enzymes glutathione S transferase (GST) dans le colon [24-26] ;
  • séquestrer certaines substances toxiques, comme des métaux lourds (cadmium, arsenic, plomb…) [27-30].

Selon certains auteurs, ces observations suggèrent que les microbes présents à la surface du corps peuvent être considérés comme sa première ligne de défense. Leurs actions pourraient donc constituer une sorte de « phase -1 » [10]. Néanmoins, ces actions ne semblent pas systématiquement associées à une évolution vers moins de toxicité pour le corps. Par exemple, le microbiote intestinal pourrait aussi déconstruire les transformations (protectrices) réalisées en phase 2 sur certains polluants. Ce phénomène, appelé « déconjugaison », peut conduire à la réabsorption de polluants, notamment par la circulation entéro-hépatique [17, 22, 31, 40]. L’approche ancestrale propose une explication à ces réactions parfois contre-productives : le système de détoxification corporel, façonné pendant des millions d’années d’évolution dans des environnements naturels, par sélection naturelle, pourrait ne pas être bien adapté à la gestion de certaines pollutions récentes. De plus, les microbiotes associés à certains modes de vie modernes, notamment ceux incluant une alimentation très transformée, sont probablement différents de ceux de nos ancêtres [32, 39] : leurs actions sur le contenu des intestins sont aussi probablement différentes.

En miroir, les polluants environnementaux sont susceptibles d’altérer les microbiotes du corps [40], qui sont essentiels à son bon fonctionnement. Par exemple, cela pourrait être le cas des pesticides [33, 34] et des métaux lourds [35, 36, 40], ou encore de l’eau chlorée [37].

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Globalement, ces résultats appuient deux recommandations classiques : diminuer l’exposition aux polluants environnementaux (ce blog a pour mission de vous accompagner dans cette démarche) et établir/entretenir des microbiotes équilibrés (notamment par une alimentation adéquate) [18, 38, 39].

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detoxification phase -1

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Certaines cellules présentent une plus forte activité de détoxification. C’est tout particulièrement le cas des cellule du foie. Comment fonctionne cet organe clé, que certains appellent « l’usine de détoxification du corps » ? Le foie joue-t-il le rôle de filtre qu’on lui prête souvent ? C’est ce que nous approfondirons dans le prochain article de la série : Le foie, usine de détoxification

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Références

  1. Döring B, Petzinger E. Phase 0 and phase III transport in various organs: combined concept of phases in xenobiotic transport and metabolism. Drug metabolism reviews, 2014. 46(3): p. 261-282.
  2. Richard F et al. Mechanisms of pollutant-induced toxicity in skin and detoxification: Anti-pollution strategies and perspectives for cosmetic products. Annales Pharmaceutiques Françaises, 2019. 77(6): p. 446-459.
  3. Pompella A et al. Thiol metabolism and redox regulation of cellular functions. IOS Press 2002.
  4. Dietrich CG et al. Molecular changes in hepatic metabolism and transport in cirrhosis and their functional importance. World journal of gastroenterology, 2016. 22(1): p. 72.
  5. Walsh B. HOW TO DETOX YOUR BODY WITH REAL SCIENCE (INSTEAD OF PSEUDOSCIENCE) – The Energy Blueprint podcast. https://www.theenergyblueprint.com/how-to-detox-your-body/ [Consulté le : 09/04/2019]
  6. Moreau C. Foie et détoxification – Cours de Master 2. Centre Hospitalier et Universitaire de Rennes – Université Rennes 1, 2017.
  7. Clemente JC et al. The impact of the gut microbiota on human health: an integrative view. Cell, 2012. 148.
  8. Steinberg CE. Stress ecology: environmental stress as ecological driving force and key player in evolution. Springer Science & Business Media 2012.
  9. Baldwin WS. Phase 0 of the Xenobiotic Response: Nuclear Receptors and Other Transcription Factors as a First Step in Protection from Xenobiotics. Nuclear receptor research, 2019. 6.
  10. Kresser C. Environmental Toxins, Drug Metabolism, and the Microbiome. 2017. https://kresserinstitute.com/environmental-toxins-drug-metabolism-microbiome/ [Consulté le : 14/03/2019]
  11. Snedeker SM, Hay AG. Do interactions between gut ecology and environmental chemicals contribute to obesity and diabetes? Environmental health perspectives, 2012. 120(3): p. 332-339.
  12. Van de Wiele T et al. Human colon microbiota transform polycyclic aromatic hydrocarbons to estrogenic metabolites. Environmental health perspectives, 2005. 113(1): p. 6-10.
  13. Van de Wiele T et al. Arsenic metabolism by human gut microbiota upon in vitro digestion of contaminated soils. Environmental health perspectives, 2010. 118(7): p. 1004-1009.
  14. Alava P et al. Arsenic undergoes significant speciation changes upon incubation of contaminated rice with human colon micro biota. J Hazard Mater, 2013. 262: p. 1237-44.
  15. Luch A et al. Degradation of benzo[a]pyrene by bacterial isolates from human skin. FEMS Microbiology Ecology, 2014. 88(1): p. 129-139.
  16. Sowada J et al. Toxification of polycyclic aromatic hydrocarbons by commensal bacteria from human skin. Archives of toxicology, 2017. 91(6): p. 2331-2341.
  17. Lippmann M. Environmental Health Science – Recognition, Evaluation, and Control of Chemical Health Hazards – second edition. Oxford University Press 2018.
  18. Crinnion WJ, Pizzorno Jr. JE. Clinical Environmental Medicine: Identification and Natural Treatment of Diseases Caused by Common Pollutants. Elsevier 2018.
  19. Tian F et al. Lactobacillus plantarum CCFM8661 alleviates lead toxicity in mice. Biological trace element research, 2012. 150(1-3): p. 264-271.
  20. Yu L et al. Lactobacillus plantarum CCFM639 alleviates aluminium toxicity. Applied microbiology and biotechnology, 2016. 100(4): p. 1891-1900.
  21. Majlesi M et al. Effect of probiotic Bacillus coagulans and Lactobacillus plantarum on alleviation of mercury toxicity in rat. Probiotics and antimicrobial proteins, 2017. 9(3): p. 300-309.
  22. Liska D et al. Detoxification and Biotransformational Imbalances. EXPLORE, 2006. 2(2): p. 122-140.
  23. Thevaranjan N et al. Age-Associated Microbial Dysbiosis Promotes Intestinal Permeability, Systemic Inflammation, and Macrophage Dysfunction. Cell Host & Microbe, 2017. 21(4): p. 455-466.e4.
  24. Pool-Zobel BL et al. Butyrate may enhance toxicological defence in primary, adenoma and tumor human colon cells by favourably modulating expression of glutathione S-transferases genes, an approach in nutrigenomics. Carcinogenesis, 2005. 26(6): p. 1064-76.
  25. STEIN J et al. Induction of glutathione-S-transferase-pi by short-chain fatty acids in the intestinal cell line caco-2. European Journal of Clinical Investigation, 1996. 26(1): p. 84-87.
  26. Scharlau D et al. Mechanisms of primary cancer prevention by butyrate and other products formed during gut flora-mediated fermentation of dietary fibre. Mutation Research/Reviews in Mutation Research, 2009. 682(1): p. 39-53.
  27. Monachese MA. Sequesteration of lead, cadmium and arsenic by Lactobacillus species and detoxication potential. 2012.
  28. Gerbino E et al. Removal of cadmium by Lactobacillus kefir as a protective tool against toxicity. Journal of Dairy Research, 2014. 81(3): p. 280-287.
  29. Ibrahim F et al. Probiotic bacteria as potential detoxification tools: assessing their heavy metal binding isotherms. Canadian journal of microbiology, 2006. 52(9): p. 877-885.
  30. Zhai Q et al. Protective effects of Lactobacillus plantarum CCFM8610 against chronic cadmium toxicity in mice indicate routes of protection besides intestinal sequestration. Appl. Environ. Microbiol., 2014. 80(13): p. 4063-4071.
  31. Cline JC. Nutritional aspects of detoxification in clinical practice. Altern Ther Health Med, 2015. 21(3): p. 54-62.
  32. Schnorr SL et al. Gut microbiome of the Hadza hunter-gatherers. Nat Commun, 2014. 5: p. 3654.
  33. Liu Q et al. Organochloride pesticides modulated gut microbiota and influenced bile acid metabolism in mice. Environ Pollut, 2017. 226: p. 268-276.
  34. Shehata AA et al. The effect of glyphosate on potential pathogens and beneficial members of poultry microbiota in vitro. Curr Microbiol, 2013. 66(4): p. 350-8.
  35. Breton J et al. Ecotoxicology inside the gut: impact of heavy metals on the mouse microbiome. BMC Pharmacology and Toxicology, 2013. 14(1): p. 62.
  36. Fazeli M et al. Cadmium chloride exhibits a profound toxic effect on bacterial microflora of the mice gastrointestinal tract. Human & Experimental Toxicology, 2011. 30(2): p. 152-159.
  37. Zhang Y et al. Metagenomic and Metabolomic Analysis of the Toxic Effects of Trichloroacetamide-Induced Gut Microbiome and Urine Metabolome Perturbations in Mice. Journal of Proteome Research, 2015. 14(4): p. 1752-1761.
  38. Genuis SJ. Sensitivity-related illness: The escalating pandemic of allergy, food intolerance and chemical sensitivity. Science of The Total Environment, 2010. 408(24): p. 6047-6061.
  39. Magazine Pour la science. Dossier N°95 « Intestin – L’organe qui révolutionne la médecine ». Avril 2017.
  40. National Academies of Sciences, Engineering, Medicine. Environmental chemicals, the human microbiome, and health risk: a research strategy. National Academies Press 2018. http://nap.edu/24960

Photos par Berkshire Community College Bioscience Image Library, Filter Forge et IBM Research

 

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