Peut-on faire confiance à l’industrie agroalimentaire pour assurer notre santé ?

Pendant près de vingt ans, j’ai été employé par de grandes entreprises du monde de l’agroalimentaire très connues, toutes bardées de certifications et de labels de qualité, mais dont l’éthique n’était qu’une façade. Pour ces sociétés, la nourriture n’a rien de noble, il s’agit uniquement d’un business, un moyen de gagner de l’argent, toujours plus d’argent. - Christophe Brusset

Cette nécessaire humilité, cette présence familière de l’incertitude scientifique, les stratèges [des lobbies industriels] la présentent comme une anomalie. Passée à la machine à laver de leur rhétorique, elle est transformée en vulgaire doute. La manipulation leur autorise alors ces raccourcis absurdes : tant qu’une incertitude subsiste sur la dangerosité d’un produit, il ne présente pas de danger. Autrement dit : tant qu’il y a débat, on ne peut pas conclure. - Stéphane Horel

Chronique du documentaire « Industrie agroalimentaire : business contre santé »

Cash investigation industrie agro-alimentaire

De l’équipe Cash Investigation, diffusé sur France 2 en 2016

Ce documentaire porte sur l’influence de l’industrie agroalimentaire sur la composition des produits alimentaires et sur l’information du consommateur, ainsi que sur les risques associés.

 

Quelques informations et points de vue intéressants, concernant la thématique « Santé des enfants et environnement »

Voici une liste d’informations et de points de vue issus du documentaire, en lien avec la thématique « Santé des enfants et environnement », et que je souhaite partager avec vous.

  • En France, l’industrie agroalimentaire représente un énorme chiffre d’affaires : 170 milliards d’euros par an. A l’échelle mondiale, ce chiffre atteint plusieurs trilliards d’euros par an. De tels enjeux financiers poussent certaines entreprises à utiliser des stratégies très discutables pour gagner des parts de marché.
  • Ces stratégies incluent :
    • l’influence de certains chercheurs et de certaines personnalités politiques ;
    • contribution, plus ou moins directe, à la définition de politiques de santé publique ;
    • mise en place d’un réseau structuré de lobbying ;
    • financement d’études permettant d’obtenir des résultats contredisant ceux qui menacent les positions de l’industrie, dans l’objectif de créer artificiellement un simulacre de débat scientifique, afin de retarder toute mesure réglementaire contraignante ;
    • discréditer les chercheurs obtenant des résultats gênants ;
    • demande des études d’impact économique, pour gagner du temps et pouvoir mettre en avant des emplois menacés ;
    • demander des expérimentations locales, des « tests grandeur nature » sur plusieurs mois, voire plusieurs années, avant l’adoption définitive d’une mesure réglementaire contraignante, pour gagner du temps et obtenir d’autres opportunités de modifications.
  • Afin d’obtenir des propriétés qui favoriseront la vente des produits alimentaires (apparence, goût, odeur, capacité de conservation…), les industriels ajoutent des additifs aux aliments bruts initiaux. Par exemple, parce que le jambon devient marron-gris après cuisson, et que la couleur rose est essentielle à l’achat des clients, du sel nitrité (additif E 250) est ajouté pour obtenir un jambon rose au final.
  • Les nitrites sont suspectés d’être associés à des effets sanitaires significatifs, car la digestion peut les transformer en nitrosamines. Les nitrosamines sont des substances génotoxiques, qui peuvent notamment favoriser le cancer colorectal, le troisième cancer le plus fréquent en France. Pourtant, un rapport d’expertise de l’Union européenne, qui confirme l’existence de ces risques, mentionne qu’il est possible de fabriquer et de commercialiser de la charcuterie sans nitrite. Ce procédé est mis en oeuvre depuis 30 ans par le plus gros producteur de charcuterie du Danemark.
  • En 2014, pour lutter contre la progression inquiétante de l’obésité, le gouvernement français a souhaité simplifier l’étiquetage des produits alimentaires, dans l’objectif de les rendre plus lisibles et de faciliter le choix de produits sains. Ce projet d’étiquetage a déjà été envisagé il y a plus de 10 ans ; il est appuyé par de nombreux comité d’experts internationaux depuis plus de 15 ans. A la date de réalisation du documentaire, ce projet n’avait pas encore abouti.

 

Cash investigation industrie agro-alimentaire2

 

Quelques extraits en lien avec la thématique « Santé des enfants et environnement »

Vous devez bien comprendre : les industriels sont là pour faire de l’argent et ils n’aiment pas le risque. Ils ne vont quand même pas laisser passer des choses qui pourraient nuire à leur business ?

Nous n’avons aucune raison d’avoir peur de cette bactérie [liée au botulisme]. En réalité, cela fait 50 ans que cette question est réglée en Europe de l’Ouest. C’était un souci dans l’industrie de la viande il y a 100 ans, quand les usines et les abattoirs n’étaient pas aussi propres qu’aujourd’hui. Donc il n’y aucune inquiétude du côté du botulisme. Le vrai problème de santé publique, ce sont ces additifs qui peuvent donner le cancer. Et s’ils ne sont pas absolument nécessaires, il ne faut pas les utiliser. C’est le risque principal aujourd’hui.

[Extrait d’une note interne d’industriels] Notre produit est le doute, car il est le meilleur moyen de concurrencer « l’ensemble des faits » qui existe dans l’esprit du public. C’est aussi le meilleur moyen de créer une controverse.

Comme les questions abordées sont assez techniques, si vous êtes un politique ou un journaliste, à moins d’être très pointu, tout ce que vous entendez c’est « tel scientifique a dit ça, tel autre a dit le contraire ». Donc ces efforts pour décrédibiliser un scientifique sont un élément clé d’une stratégie beaucoup plus vaste, qui vise à empêcher ou à retarder toute décision politique. Pour les industriels, cela se traduit par des centaines de millions de dollars de bénéfices. Tout le jeu, c’est de gagner du temps.

Dans les congrès il y a systématiquement, au premier rang, deux trois mecs en costard-cravatte, qui pose des questions, qui disent « ah mais en fait, est-ce que vous avez pris en considération tel truc ou tel truc » ou « ah oui en fait vous dites ça mais untel a dit le contraire ». Nous scientifiques, on n’a aucun doute, mais si t’es journaliste tu te dis « bon bah finalement, le gars montre un truc mais ya des gens qui disent le contraire, donc c’est fifty fifty ». C’est pas « fifty fifty », c’est 999 contre 1, et ce « 1 » il est payé par l’industrie. Il y a des gros enjeux.

[Marisol Touraine, alors ministre en charge de la santé, intervenant à l’Assemblée nationale en 2014] Je mets au défi quiconque, ici, de comprendre la qualité nutritionnelle d’un produit, entre les différentes informations [disponibles]. L’enjeu, c’est quoi ? C’est de faire face à l’un des défis de santé publique majeur auquel nous sommes confrontés, […] le fléau de l’obésité.

[Le président du Plan national nutrition santé (PNSS)] Il y a une réticence, pour ne pas dire une réserve très forte, sur l’utilisation d’un système qui permet vraiment au consommateur de voir que, pour un même produit, selon la marque, il y a des différences considérables. […] Sur le plan de la qualité nutritionnel, personne ne veut montrer ses différences.

Pour modifier une proposition de loi, les lobbying industriels produisent des argumentaires à certains parlementaires. Ces argumentaires peuvent être formalisés par des amendements, où il n’y a plus qu’à mettre des noms et une date. Selon une analyse comparative des amendements produits par les industriels de l’agroalimentaire et des amendements parlementaires critiquant le système d’étiquetage proposé par la loi santé, 25 % des parlementaires auraient utilisés les argumentaires de l’industrie.

 

Mon avis

Les « + » :

  • une présentation claire des enjeux et des dérives potentielles liés à la fabrication de produits alimentaires par des société privées, répondant à des objectifs de rentabilité ambitieux, dans un contexte très concurrentiel ;
  • interviews du PDG d’Herta, d’un représentant de l’Agence Santé et Environnement de la Californie et de la Directrice de l’Association nationale des industries alimentaires, qui permettent d’avoir des points de vue complémentaires aux thèses défendues par le documentaire.

Les « – » :

  • deux heures de documentaires et un an d’enquête pour traiter seulement deux aspects (nitrites et étiquetage nutritionnel) d’un thème beaucoup plus large ;
  • des procès d’intention, des interviewés piégés… Je ne suis pas à l’aise avec certaines méthodes mises en oeuvre.

Photo par fabcom

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