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Bonne lecture 🙂
Bonjour à tous,
Cet article propose une regard critique sur certaines idées courantes liées à la pollution de l’air.
Cet article est le quatrième d’une série visant à faire le point sur le sujet la pollution de l’air extérieur, du point de vue de parents souhaitant protéger la santé de leurs enfants. Les articles précédents ont présenté les principaux éléments à connaitre, selon moi, sur son contenu et sur les enjeux sanitaires associés, en particulier pour les enfants. Le présent article a pour objectif de passer en revue les principales idées reçues concernant cette pollution. Ces idées reçues sont formulées de manière synthétique, par une série de verbatims représentatifs de ce que j’entends autour de moi et de ce que je lis sur les réseaux sociaux.
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Une réglementation respectée pour les polluants atmosphériques ?
« La pollution de l’air est un problème connu depuis plusieurs dizaines d’années. Les pouvoirs publics ont dû mettre en place des politiques de prévention en conséquence, permettant d’assurer le respect de la réglementation en vigueur. »
Ce point de vue ne semble pas partagé par plusieurs organismes de référence, chargés d’évaluer ces politiques publiques.
Tout d’abord, depuis mai 2018, un contentieux est en cours avec la Commission européenne, devant la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE). Ce contentieux porte sur des expositions trop élevées en France pour les particules (PM10) et pour le dioxyde d’azote (NO2), faisant suite à de nombreuses procédures précontentieuses (mises en demeure, avis motivés…), pouvant remonter jusqu’à 2009 [1, 6, 10, 11, 14]. Ce contentieux a donné lieu à une première condamnation de la France, en octobre 2019, pour avoir dépassé « de manière systématique et persistante » la valeur limite annuelle pour le dioxyde d’azote (NO2) depuis le 1er janvier 2010 [19]. Une deuxième condamnation, en avril 2022, a porté sur les particules fines [27].
Pas convaincant
Les politiques publiques en vigueur n’ont également pas convaincu le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, dont l’avis daté de 2016 [8] inclut :
- « la planification locale est foisonnante et inaboutie » ;
- « la gestion des pics de pollution est inadaptée. Elle ne permet pas une mise en place suffisamment rapide des mesures d’urgence » ;
- « la lutte contre la pollution atmosphérique n’est pas prise en compte par les aides au renouvellement du parc routier » ;
- « La mise en place de zones à circulation restreinte (ZCR), accordant des facilités de circulation aux véhicules les moins polluants, prévue par la loi Grenelle II de 2010, a déjà pris six ans de retard. Cette mesure, qui a un impact positif avéré sur la diminution des concentrations de polluants au niveau local et le renouvellement du parc routier, est pourtant appliquée en Europe Centrale et du Nord depuis environ 10 ans »
- « Le contrôle des émissions de véhicules souffre de faiblesses structurelles, les essais de laboratoire ne permettant pas de respecter les seuils fixés par les normes Euro ».
Par ailleurs, en juillet 2017, le Conseil d’Etat a estimé que les actions mises en place par l’État ne permettaient pas de respecter les exigences de la Directive européenne sur la qualité de l’air. En particulier, le Conseil d’État « enjoint au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites. » [7] En 2020, faute de réponse appropriée, le Conseil d’Etat a prononcé une astreinte « hors-norme » de 10 M€ par semestre de retard, soit le « montant le plus élevé qui ait jamais été imposé pour contraindre l’État à exécuter une décision prise par le juge administratif ». [21]
Cour des comptes peu convaincue
En outre, dans des rapports datés de 2015 et 2020 [9], la Cour des comptes a aussi formulé des critiques très significatives :
- « la politique de lutte contre la pollution de l’air n’est pas encore stabilisée. Bien qu’ayant émergé dès les années 1980, celle-ci résulte aujourd’hui d’un empilement de dispositifs hétérogènes » ;
- « encore trop d’interventions au niveau national perturbent les mesures prises au plan local, par les préfets ou les collectivités. Ces interventions ont ainsi pu retarder ou limiter la mise en œuvre d’outils efficaces. Elles s’observent notamment en cas de pics de pollution » ;
- « les plans nationaux se sont succédés sans évaluation des mesures mises en place » ;
- « la question de la pollution de l’air reste en France le plus souvent abordée en cas de « pics » de pollution, alors que les études épidémiologiques montrent que sa dangerosité est liée à l’exposition chronique bien plus qu’à ces quelques jours par an où l’attention médiatique est concentrée sur certains territoires. Cette focalisation sur les épisodes de pollution maximale est d’ailleurs spécifique : ainsi, lors du pic de pollution de mars 2014 qui a touché une grande partie de l’Europe, les pays limitrophes n’ont pris aucune mesure, à l’exception de la Belgique qui a limité la vitesse de circulation sur route. Les autres pays européens recourent plutôt à des mesures pérennes, ayant un impact sur les niveaux de pollution tout au long de l’année » ;
- «la lutte contre la pollution de l’air ne constitue pas, de fait, une priorité de l’action publique ».
Efforts insuffisants à ce stade
Enfin, dans un avis daté de 2017 [13], l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) « insiste sur l’importance de poursuivre les efforts dans la mise en œuvre de politiques publiques de long terme en faveur de l’amélioration de la qualité de l’air, qui reste un enjeu majeur de santé publique. »
Cette recommandation « insistante » n’a pas empêché la France d’être l’objet d’une procédure d’infraction par la Commission européenne, qui « demande à la France […] de transposer correctement dans sa législation nationale toutes les exigences de la directive relative à la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques (directive NEC) » [20, 22]. Le même type d’infractions porte aussi sur les limites d’émission de certaines installations [24].
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Pollution de l’air : une réglementation protectrice pour la santé ?
« OK, parfois il y a des dépassements de valeurs limites. Mais lorsqu’elle est respectée, la réglementation en vigueur permet d’assurer la protection de la santé des populations. »
En France, les valeurs limites réglementaires sont définies à l’issue d’un processus de décision multicritère, dont les aspects sanitaires ne constituent qu’un des critères pris en compte [5, 17]. Plusieurs de ces valeurs sont supérieures aux valeurs guides recommandées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2005 [4, 5, 15, 16, 19] : elles sont donc moins protectrices pour les populations. Par exemple :
- pour les particules PM10 :
- la valeur limite réglementaire (appelée « Valeur limite pour la protection de la santé ») est de 40 µg/m3 en moyenne annuelle,
- la valeur guide de l’OMS est de 20 µg/m3 en moyenne annuelle ;
- pour les particules PM2,5 :
- la valeur limite réglementaire est de 25 µg/m3 en moyenne annuelle. Elle sera de 20 µg/m3 en 2020,
- la valeur guide de l’OMS est de 10 µg/m3 en moyenne annuelle,
- aucune valeur limite journalière n’existe en France, alors que l’OMS propose une valeur guide de 25 µg/m3 en moyenne journalière, à ne pas dépasser plus de 3 jours par an,
- une dizaine de pays appliquent une valeur limite plus basse en moyenne annuelle : les valeurs correspondantes varient entre 8 et 15 µg/m3.
- pour l’ozone (O3) :
- il n’existe pas de valeur limite réglementaire. Une valeur cible pour la protection de la santé humaine est fixée à 120 µg/m³ pour le maximum journalier sur 8 heures, seuil à ne pas dépasser plus de vingt-cinq jours par an ;
- la valeur guide de l’OMS est de 100 µg/m3 sur 8 heures.
Nouvelles preuves d’effets
De plus, d’après un avis de l’Anses daté de 2017 [4], « ces dernières années, de nouvelles preuves sont apparues sur les effets sanitaires des polluants de l’air ambiant. […] L’analyse de ces données par deux groupes d’experts désignés par l’OMS en 2013 et 2015 a confirmé la pertinence de réviser les valeurs guides de l’OMS ». Cette révision, engagée en 2016, porte notamment sur les polluants suivants : PM10, PM2,5, NO2, SO2 et O3. Les résultats ne devraient pas être obtenus avant 2020 [4]. Dans ce contexte, l’Anses recommande, notamment, « d’envisager l’adoption de valeurs limites plus protectrices pour les particules (PM10 et PM2,5) », d’autant plus que « pour les PM2,5, l’absence de seuil en dessous duquel aucun effet n’est attendu est clairement avancée ».
[Mise à jour 2021] Comme attendu, l’OMS a publié des valeurs limites plus protectrice en 2021. Par exemple, concernant les concentrations moyennes annuelles, les limites sont passés de 10 à 5 µg/m3 pour les PM2,5, de 20 à 15 µg/m3 pour les PM10 et de 40 à 10 pour le dioxyde d’azote (NO2) [25]. Dans la même logique, « Après analyse de la littérature scientifique la plus récente, l’Anses observe que les risques pour la santé interviennent à des niveaux de concentration en polluant inférieurs aux seuils actuellement en vigueur. L’Agence propose donc de revoir à la baisse les seuils d’information et d’alerte pour garantir une meilleure protection de la santé des populations » , et de choisir de nouveaux seuil en cohérence avec les recommandations de l’OMS [26].
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Par ailleurs, selon l’OMS [3] et l’Anses [4], pour l’ozone (O3), des données épidémiologiques récentes appuient l’hypothèse d’une absence de seuil s’innocuité, à court ou à long terme.
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Pollution de l’air et idées reçues : une suite à prévoir !
Enfin, comme décrit dans les articles précédents de la série, seul un nombre limité de polluants atmosphériques est surveillé et réglementé. Les expositions à de nombreux autres polluants [17] (pesticides [12], particules ultrafines [2, 3], butadiène…), et donc les impacts sanitaires associés, restent peu connus à ce jour.
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Bon, après avoir largement dépassé mon seuil repère de 1 000 mots par article, seules deux idées reçues ont été discutées… Ce 4e article va donc être accompagné d’un petit frère « 4 bis » 🙂
L’article 4 bis se trouve ici. Comment protéger les enfants des effets de la pollution atmosphérique (4/6) – bis
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Références – Pollution de l’air et idées reçues
- Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Qualité de l’air et santé – Symposium scientifique. 2015. Notamment : lien. Consulté en particulier le 16/03/2018. Et aussi :
- Buonanno G. Do air quality targets really represent safe limits for lung cancer risk? Science of The Total Environment 2017. Et également :
- Organisation mondiale de la santé (OMS). Review of evidence on health aspects of air pollution – REVIHAAP Project – Technical Report. Notamment : lien. Consulté en particulier le 17/03/2018. Et aussi :
- Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Les normes de qualité de l’air ambiant. 2017. Notamment : lien. Et également :
- Articles L221-1 et R.221-1 du Code de l’environnement. Notamment : lien. Et aussi :
- Site Internet d’Europe 1. Qualité de l’air : Bruxelles donne une « dernière chance » à la France. 30/01/2018. Et aussi : La pollution dangereuse pour le cerveau des bébés, selon l’ONU. 06/12/2017. Et également :
- Décision du Conseil d’État. 12 juillet 2017. Association Les Amis de la Terre France N° 394254. Et aussi :
- Assemblée nationale. Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Rapport d’information n° 3772 sur l’évaluation des politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air. 2016. Notamment : lien. Et également :
- Cour des comptes. Rapport Les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air. 2015. Notamment : lien. Consulté en particulier le 24/03/2018. Et aussi :
- Mandard S. Pollution de l’air : Bruxelles poursuit la France en justice. 2018. Notamment : lien. Et également :
Davantage de références – 1 – Pollution de l’air et idées reçues
- Commission européenne. Communiqué de presse du 17 mai 2018. Qualité de l’air : la Commission prend des mesures pour protéger les citoyens contre la pollution atmosphérique. Notamment : lien. Et aussi :
- Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Recommandations de l’Anses pour la mise en œuvre d’une surveillance nationale des pesticides dans l’air ambiant. Notamment : lien. 19/10/2017, consulté en particulier le 30/08/2018. Et également :
- Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Rapport d’activité 2017. Juin 2018. Et aussi :
- Sénat – groupe de travail sur la lutte contre la pollution de l’air. Rapport d’information n° 412 (2017-2018). 11 avril 2018. Notamment : lien. Et également :
- Organisation mondiale de la santé (OMS) – Bureau régional pour l’Europe. Air Quality Guidelines for Europe. Second Edition. 2000. Notamment : lien. Et aussi :
- Organisation mondiale de la santé (OMS). Lignes directrices OMS relatives à la qualité de l’air. Synthèse de l’évaluation des risques – Mise à jour mondiale. Notamment : lien. Et également :
- Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Polluants « émergents » dans l’air ambient. Identification, catégorisation et hiérarchisation de polluants actuellement non réglementés pour la surveillance de la qualité de l’air. 2018. Notamment : lien. Et également :
- Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). LA POLLUTION DE L’AIR EN 10 QUESTIONS COMMENT RESPIRER UN AIR DE MEILLEURE QUALITÉ ? 2018. Notamment : lien. Et aussi :
- Cour de justice de l’Union européenne. ARRÊT DE LA COUR (septième chambre) du 24 octobre 2019. Et également :
- Commision euroépenne. May infringements package: key decisions. Air quality: Commission urges FRANCE, CYPRUS and LITHUANIA to improve their rules against air pollution. Et aussi :
Davantage de références – 2 – Pollution de l’air et idées reçues
- Décisions du Conseil d’Etat n°428409 (2020) et aussi n°428409 (2022). Notamment : lien. Et également :
- Commission Européenne. REPORT FROM THE COMMISSION TO THE EUROPEAN PARLIAMENT AND THE COUNCIL on the progress made on the implementation of Directive (EU) 2016/2284 on the reduction of national emissions of certain atmospheric pollutants. 2020. Et aussi :
- Cour des comptes. Rapport Les politiques de lutte contre la pollution de l’air. Septembre 2020. Et également :
- Commission Européenne. Procédures d’infraction : la Commission demande des éclaircissements à la France concernant la pollution atmosphérique […]. 2021. Notamment : lien. Et aussi :
- Organisation mondiale de la santé (OMS). Les nouvelles lignes directrices mondiales de l’OMS sur la qualité de l’air visent à éviter des millions de décès dus à la pollution atmosphérique. 2021. Notamment : lien. Et également :
- Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Avis relatif à la modification des seuils de déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant. Notamment : lien. Et aussi :
- Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Manquement d’État – Environnement – Directive 2008/50/CE – Qualité de l’air ambiant – Article 13, paragraphe 1, et annexe XI – Dépassement systématique et persistant des valeurs limites fixées pour les microparticules (PM10) dans certaines zones de France – Article 23, paragraphe 1 – Annexe XV – Période de dépassement “la plus courte possible” – Mesures appropriées. 28 avril 2022. Affaire C-286/21. Notamment : lien.
Photos notamment par Storm Crypt et Clément Costa
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