Comment les industriels manipulent la science, selon Stéphane Foucart (2/5)

De toute évidence, l’industriel et le médecin ne sont pas d’accord sur la masse d’informations nécessaires pour parvenir à une conclusion en matière de sécurité. - Philippe Grandjean

Il y a aujourd’hui trop de médicaments inutiles prescrits ; trop de risques encourus en raison de dérapages prescriptionnels inacceptables, liés à la mise sur le marché de médicaments trop souvent toxiques et, en outre n’ayant pas fait la preuve d’une efficacité suffisante ; trop de pression de l’industrie pharmaceutique, vis-à-vis des instances de régulation. - Pr Dominique Belpomme

Chronique du livre « La Fabrique du mensonge »

Fabrique mensonge Stephane Foucart

De Stéphane Foucart, 416 pages, publié en 2014

 

Stéphane Foucart est journaliste scientifique pour le journal Le Monde. Il est spécialisé, notamment, dans les sciences de l’environnement.

La Fabrique du mensonge porte sur les mécanismes permettant aux entreprises d’utiliser la démarche scientifique à leur profit.

Ce livre fait l’objet d’une chronique en cinq parties. Cet article est la deuxième partie de la chronique. La première partie se trouve ici : Comment les industriels manipulent la science, selon Stéphane Foucart (1/5)

 

Quelques informations et points de vue intéressants, concernant la thématique « Santé des enfants et environnement »

Voici une liste d’informations et de points de vue issus du livre, en lien avec la thématique « Santé des enfants et environnement », et que je souhaite partager avec vous.

  • Par le passé, les insuffisances de la réglementation encadrant les activités industrielles ont pu avoir plusieurs origines : inadaptation des systèmes de gouvernance, corruption et dérive oligarchique, incurie des médias de masse, apathie des populations, faillite du système économique et financier. Une abondante littérature existe sur ce sujet.
  • Il existe aujourd’hui une autre cause, dont l’influence prend de l’ampleur : le fait que les connaissances accumulées sont mises en doute, sont contestées par des simulacres de méthode scientifique et manipulées par les industries dont elles gênent les objectifs.
  • Ces activités consistent à instrumentaliser la science, la retourner contre elle-même, en faire un outil de distraction, brouiller ou inverser sa perception par l’opinion et les responsables politiques. Ces activités supposent de l’argent, du temps et des compétences.
  • Quels que soient les domaines, et notamment en matière de pollutions environnementales, l’objectif est généralement d’aboutir à ces conclusions : « Il y a beaucoup d’incertitudes », « Tous les spécialistes ne sont pas d’accord », « On a cru la même chose il y a longtemps et cela s’est révélé faux », etc.
  • Or, dans le système économique actuel, seul un diagnostic scientifique indiscutable peut aboutir à des décisions contraignantes vis-à-vis d’une activité industrielle. Au moindre doute, malgré une grande somme d’indices concordants, les pouvoirs publics n’agissent pas. Par conséquent, lorsque des résultats scientifiques suggèrent une situation préoccupante liée à une activité ou à une technologie, l’objectif des industriels concernés consiste à créer du doute, de l’incertitude.
  • Les premiers industriels impliqués ont été les cigarettiers américains, dans les années 1950. Ces cigarettiers ont utilisé une méthode efficace : ne pas lutter contre la science, en tant que telle, mais de l’utiliser à leur avantage, en finançant des milliers de projets de recherche, focalisés sur leur intérêt stratégique.
  • L’ampleur des sommes consacrées au financement de la recherche, par les cigarettiers, a influencé le développement de certains domaines scientifiques, au profit d’autres, en fonction de leur compatibilité avec l’industrie du tabac. Par exemple, la génétique fonctionnelle a énormément progressé car, pour les cigarettiers il a toujours été crucial de favoriser la science qui permettait d’avancer l’idée que les maladies — tel que le cancer du poumon — sont liés aux gènes plutôt qu’à l’environnement. Et cette vision a encore de nombreuses répercussions aujourd’hui : qui n’a pas entendu parler du « gène de l’obésité », du « gène du cancer du sein », du « gène de l’autisme » ?
  • La science est un processus collectif qui repose sur la prudence, le doute, la confrontation des interprétations, la recherche d’exactitude. Des industriels utilisent ces principes de base pour maintenir le doute : la recherche d’exactitude peut ainsi être transformée en recherche de preuves définitives, qui sont inatteignables.

 

Fabrique mensonge Stephane Foucart 2

 

Quelques extraits en lien avec la thématique « Santé des enfants et environnement »

La faculté à rendre désirable la saleté, le détournement des mots et de leur sens sont les premiers tours de force des cigarettiers. Fumer — c’est-à-dire souiller durablement son propre organisme par mille produits de combustion — est perçu comme un geste élégant et beau ; fumer est réputé offrir du « plaisir » alors qu’il ne s’agit que de procurer un soulagement momentané, destiné à répondre à un besoin créé de toutes pièces ; fumer est aussi revendiqué comme un acte de rébellion contre les marges conservatrices de la société, comme l’expression d’une liberté — celle de disposer comme on l’entend de soi-même et de son corps — alors que l’acte de fumer est très exactement le résultat d’un asservissement de masse.

Ce n’est pas seulement d’un détournement qu’il s’agit : il s’agit aussi de retourner la démarche scientifique contre la science. C’est-à-dire faire de ses principaux moteurs — le doute, la prise en compte d’éléments contradictoires, la recherche toujours accrue d’exactitude — de formidables instruments pour ralentir le rythme d’acquisition des connaissances et des savoirs sur le tabac et ses méfaits.

Il ne faut pas aller contre la science, il faut la détourner. Il ne faut pas entraver la recherche, il faut l’encourager, la rémunérer, l’orienter.

Construire, grâce à la science instrumentalisée, de fausses controverses est l’un des grands axes de la « stratégie scientifique » des cigarettiers. De fait, se réclamer d’un discours scientifique est plus efficace pour asseoir sa crédibilité que nier en bloc des résultats de recherche. […] Il ne faut donc pas nier la science, mais s’en réclamer. Et faire du doute scientifique l’un des moteurs de la démarche scientifique, un instrument de communication pour ralentir le rythme d’acquisition des connaissances, et surtout sa perception par les décideurs puis le public.

Tout le génie des industriels est alors d’effectuer un patient travail de veille pour identifier les scientifiques, chercheurs, universitaires, dont les opinions ou les recherches, mises dans un certain contexte, pourraient leur être utiles.

L’intérêt pour Philip Morris de financer les travaux de tel ou tel chercheur ne tient pas uniquement à la nature des résultats qui sont attendus ou espérés de lui. Bien sûr, ce point demeure central et, dans leurs messages internes, les patrons de la recherche de Philip Morris ne s’embarrassent pas de précautions. « Clairement, je ne veux pas que nous investissions dans de la recherche qui ne pourra pas nous être utile », écrit l’un d’eux à l’un de ses subordonnés, en 2002, pour motiver le refus d’une importante subvention demandée par un laboratoire de physique de l’École polytechnique. Mais au-delà de cet aspect, aider les chercheurs dans leurs travaux, et donc dans l’avancement de leur carrière, forge un lien durable dont les cigarettiers espèrent toujours qu’il adoucira la parole publique de ceux qu’ils ont ainsi poussés. En outre, les chercheurs des organismes publics de recherche ou des universités peuvent avoir, à un moment ou un autre de leur carrière, leur mot à dire en tant qu’experts, dans la conduite des politiques publiques. C’est un point déterminant.

En 1994, James Todd, vice-président de l’American Medical Association, adresse à tous les doyens des facultés de médecine des universités américaines une mise en garde contre les collaborations avec « les institutions de recherches de l’industrie du tabac ». Celles-ci, poursuit James Todd dans sa lettre, « sont utilisées par les cigarettiers comme partie intégrante de leur stratégie de relations publiques, avec deux buts à l’esprit. Premièrement les fonds alloués par le tabac à la recherche les aident à convaincre les responsables politiques et le public qu’ils mènent des projets scientifiques légitimes en cours pour chercher des liens entre tabagisme et maladies — et que la question est toujours controversée. Deuxièmement, l’industrie utilise ces fonds pour réduire au silence les universités et les chercheurs, et se lier à de prestigieuses institutions afin de s’acheter une respectabilité ».

« Me suis-je préoccupé des aspects déontologiques liés au financement de mon laboratoire par le CTR [Note de Guillaume : Council for Tobacco Research – Conseil pour le recherche sur le tabac, organisme financé par les fabricants de cigarettes] ? Oui, a admis Jean-Pierre Changeux. Il était bien connu à l’époque que les industriels du tabac avaient publié des données falsifiées et fait de la publicité mensongère sur le tabagisme. […] Pour moi, l’essentiel était la liberté de la recherche, sans mainmise du CTR, ce que j’ai obtenu. »

 

La troisième partie de cette chronique se trouve ici : Comment les industriels manipulent la science, selon Stéphane Foucart (3/5)

 

Cette chronique met en avant l’importance de protéger les enfants des substances préoccupantes, par soi-même avant tout, car les actions des pouvoirs publics peuvent être très insuffisantes. Ce blog a pour mission de vous aider et de vous accompagner dans votre démarche ! Pour vos premiers pas, vous pouvez vous appuyer sur le guide gratuit téléchargeable ci-dessous.

Photo par Agroscope

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2 Responses

  1. Re-bonjour Guillaume,

    La phrase « Il ne faut pas entraver la recherche, il faut l’encourager, la rémunérer, l’orienter » me parle beaucoup !

    « […] seul un diagnostic scientifique indiscutable peut aboutir à des décisions contraignantes vis-à-vis d’une activité industrielle. Au moindre doute, malgré une grande somme d’indices concordants, les pouvoirs publics n’agissent pas » :
    d’après ma précédente expérience professionnelle, dans laquelle j’ai eu l’occasion de participer dans une modeste mesure à l’élaboration de textes réglementaires relatifs à la prévention des risques industriels, je ne serais peut-être pas aussi catégorique et négative sur l’administration, qui m’a semblé, pour ce que j’ai vu en tout cas, tenter de faire au mieux en vue de l’intérêt général, mais il est clair que j’ai vu la rédaction de certains textes ralentie, entravée pour de telles raisons, entre objectif de protection des populations et souci de limiter les impacts économiques sur les industriels…

    1. Merci pour ce super retour, de « l’intérieur du système » haha
      Mon retour personnel, également limité, va aussi dans le sens d’un personnel administratif globalement de bonne volonté, au niveau des argumentaires techniques, mais très divisé selon les (nombreuses) strates hiérarchiques

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