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Comment les industriels manipulent la science, selon Stéphane Foucart (5/5)

Il est nécessaire de prendre conscience du fait que les intérêts financiers d’un certain nombre d’industriels sont parfois très éloignés des impératifs de santé. - Dr Laurent Chevallier

Peu de gens parlent du doute en doutant. - Blaise Pascal

Chronique du livre « La Fabrique du mensonge »

Fabrique mensonge Stephane Foucart

De Stéphane Foucart, 416 pages, publié en 2014

 

Stéphane Foucart est journaliste scientifique pour le journal Le Monde. Il est spécialisé, notamment, dans les sciences de l’environnement.

La Fabrique du mensonge porte sur les mécanismes permettant aux entreprises d’utiliser la démarche scientifique à leur profit.

Ce livre fait l’objet d’une chronique en cinq parties. Cet article est la cinquième partie de la chronique. La première partie se trouve ici : Comment les industriels manipulent la science, selon Stéphane Foucart (1/5)

 

Quelques informations et points de vue intéressants, concernant la thématique « Santé des enfants et environnement »

Voici une liste d’informations et de points de vue issus du livre, en lien avec la thématique « Santé des enfants et environnement », et que je souhaite partager avec vous.

  • Toute la toxicologie moderne est basée sur le principe de Paracelse : « c’est la dose qui fait le poison ». Selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) « en d’autres termes, plus la dose d’un produit chimique est élevée, plus l’effet est important ainsi que la probabilité d’un effet indésirable ». Si tout est poison, alors rien n’est poison. Tout est seulement question de dose. À très faible dose, donc, rien ne serait poison.
  • Néanmoins, le principe de Paracelse ne s’applique pas à une catégorie de substances préoccupantes : les perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire les substances de synthèse capables de perturber le système hormonal. Les perturbateurs les plus connus incluent les retardateurs de flamme bromés, les revêtements antiadhésifs de certains ustensiles de cuisson, certains pesticides, certains bispéhnols… Le bisphénol A est le plus étudié, notamment à cause de son omniprésence.
  • Par conséquent, pour ce type de substances, les tests de toxicologie réglementaires ne sont pas protecteurs pour les populations. En d’autres termes, peu rassurants, les doses journalières admissibles (DJA) calculées pour les substances ayant des effets hormonaux (c’est-à-dire des centaines de molécules disponibles sur le marché) reposent sur une principe scientifique erroné.
  • Les conflits d’intérêts de certaines agences sanitaires sont régulièrement dénoncées par des ONG, mais à présent également par des organismes publiques de référence. Par exemple, concernant la très critiquée Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) :
    • en 2012, le Parlement européen a critiqué sa gestion des conflits d’intérêt ;
    • quelques mois après, la Cour des comptes européenne a réalisé un audit, qui portait notamment sur l’EFSA, par « la Cour des comptes européenne a estimé, en conclusion, qu’aucune des agences auditées ne gérait les situations de conflit d’intérêts de manière appropriée ».
  • Une autre technique utilisée par les industriels est de diffamer certains auteurs, lorsque les travaux associés sont contraires à leurs intérêts. Le développement d’Internet a grandement facilité la capacité à attaquer la réputation d’un individu.
  • En résumé, voici les principales techniques utilisées pour fabriquer du doute :
    • intégrer les instances en charge de l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux, afin de leur faire minimiser les risques associés aux produits industriels ;
    • produire des argumentaires ayant une forme scientifique, puis utiliser les médias et les supports en ligne pour les diffuser à grande échelle. Si besoin, ces argumentaires peuvent être appuyés par les résultats de quelques étude auto-financées ;
    • entraver le production de connaissances non-maîtrisées, par la menace ou en influant sur la prise de décision publique.
  • La presse joue souvent un rôle important dans la création du doute, parfois même sans en être consciente. Par exemple, au-delà de potentielles incompétences et mauvaises pratiques, le souhait d’objectivité, de neutralité, peut amener des journalistes a donné une place identique dans le débat à des résultats très robustes et à des résultats très incertains, voire fantaisistes. Par ailleurs, puisque le débat et la controverse sont vendeurs, les journalistes peuvent être poussés à « fabriquer » un débat là où il n’y en a pas.

 

Fabrique mensonge Stephane Foucart 5

 

Quelques extraits en lien avec la thématique « Santé des enfants et environnement »

Les récentes données scientifiques montrent que certains effets du bisphénol A sont, chez les rongeurs au moins, transgénérationnels. Une seule et unique exposition à cette substance de femelles en gestation conduit à altérer le comportement de leur descendance, à la première, la deuxième, puis la troisième génération. Comment s’assurer des effets sur les hommes d’un tel produit puisqu’il n’est pas possible de mesurer le niveau d’exposition passé de leurs parents ou de leurs grands-parents ?

Reste que la position de l’EFSA ulcère littéralement les endocrinologues. « L’EFSA ignore volontairement des milliers d’études et des décennies de recherche en endocrinologie, résume Frederick vom Saal. J’ai évoqué la position de l’EFSA au cours d’une réunion de l’Endocrine Society : c’était comme annoncer à un congrès d’astrophysique qu’il reste des gens pour croire que la Terre est plate et qu’elle est au centre de l’Univers… J’ai eu droit à plusieurs minutes de fou rire. »

L’exigence de vérité impose au contraire de dire que les techniques d’ingénierie du doute et de construction d’incertitude, de même que la manipulation des médias, sont aussi, parfois, le fait de ceux qui s’opposent au développement de certaines technologies.

Peut-on découvrir des effets plus discrets que des cancers grâce aux tests toxicologiques menés par les industriels et sur la foi desquels les agences de sécurité sanitaire leur délivrent les autorisations de commercialisation ? Peut-on espérer des effets subtils pendant les quatre-vingt-dix jours de tests réglementaires ? Le Haut Conseil des biotechnologies et l’ANSES ont répondu dès 2010, estimant que de tels effets ne pouvaient pas être détectés par de telles expériences.

Parfois, les choses sont plus simples : le Round-Up, l’herbicide compagnon du NK603, n’a jamais fait l’objet de tests toxicologiques. Seul le glyphosate (sa molécule active) a été testé, mais le RoundUp est un mélange de plusieurs autres substances. Elles agissent par exemple pour permettre au produit actif de pénétrer dans les diverses parties de la plante, pour la détruire. Les effets sur l’homme de ces molécules mises ensemble sont donc inconnus. Le système réglementaire s’accommode de cette ignorance. C’est un constat stupéfiant, mais c’est ainsi.

Le bisphénol A est-il dangereux ? Des centaines de publications académiques lui trouvent des effets délétères, mais quelques études industrielles, ou souvent menées par des scientifiques du monde académique financés par l’industrie, ne lui en découvrent aucun : les comités d’experts — parfois habilement composés d’individus peu familiers des disciplines abordées, ou réputés proches de l’industrie — s’abstiennent de toute conclusion. Le doute ainsi créé est un formidable prétexte pour ne rien faire. Ou pour gagner du temps, beaucoup de temps. Et autant d’argent.

Faut-il s’étonner que les risques des OGM aient été si peu explorés, lorsque ceux qui leur découvrent un effet problématique risquent d’être cloués au pilori et d’y laisser leur carrière ? Et est-ce vraiment un hasard qu’en France aucun épidémiologiste n’ait travaillé sur les effets de l’amiante jusqu’en 1993, alors que sa nocivité à faible dose était déjà bien établie dans les années 1960 ?

L’absurdité du « débat scientifique » sur la responsabilité de l’homme dans le réchauffement est criante. La conversation médiatique est pourtant régulièrement polluée par des interventions de chercheurs qui s’expriment très loin de leur champ de compétences. Et qui racontent, simplement, n’importe quoi. Et il se trouve toujours un micro, une caméra, un stylo, pour recueillir des propos qui sont compris comme la saine expression d’un débat par le public. Il ne faut pas croire que cela n’a pas et n’aura pas d’effets. Qui s’exprime avec l’étiquette de savant aura la même crédibilité sur tout sujet scientifique — quelle que soit sa spécialité. L’extraordinaire inaction de la communauté internationale sur la question climatique a sans doute été partiellement rendue possible par de tels pseudo-experts, qui ont semé la confusion.

 

Mon avis

Les « + » :

  • Un livre qui a été une bonne (et complète) surprise pour moi. Le titre m’évoquait d’obscures théories du complot, suffisamment pour ne me donner aucune envie de l’acheter, si ce n’est dans le cadre d’une sorte de premier état de l’art auquel je m’atèle actuellement. J’y ai trouvé des analyses fines et (que je ressens) mûrement réfléchies, bien documentées. Un vrai travail d’enquête. Cela m’a donné envie de lire d’autres ouvrages de l’auteur.
  • Une déclinaison des thèses de l’auteur sur plusieurs sujets concrets : tabac, amiante, abeilles/pesticides, OGM, perturbateurs endocriniens.
  • L’honnêteté de signaler, au sein d’un ouvrage à charge contre le milieu industriel, que les techniques décrites (créer du doute, manipuler les médias, produire les résultats voulus par des études de mauvaise qualité) peuvent aussi être utilisés par ceux qui s’opposent au développement de certaines technologies. Certains pourront penser que « c’est de bonne guerre ». Reste que notre sens critique me semble devoir s’appliquer à tout type d’acteur produisant des résultats, quelle que soit la justesse de son combat, quelle que soit la sympathie que peut inspirer son engagement.
  • La description d’un exemple concret où « la fabrique du mensonge » a été appliquée contre des intérêts industriels, avec les études controversées de Gilles-Eric Séralini sur les OGM.

Les « – » :

  • La robustesse de l’argumentation me semble varier selon les aspects traités. Certaines propositions reposent sur moins d’éléments, sans être affirmées avec moins de force. Par exemple, j’ai trouvé que la distinction « science solide (« sound science ») / mauvaise science (« junk science ») » était mise en regard des « gentils chercheurs publics / méchants industriels », de manière trop caricaturale et sans réelle démonstration ; la critique des agences sanitaires me semble aussi reposer sur assez peu d’éléments, ce qui parait assez disproportionné avec une conclusion du type « les agences de sécurité sanitaire agissent à l’inverse de leur mission : elles brouillent la connaissance scientifique, injectent un doute illégitime dans le débat public et paralysent ou retardent l’action politique » ; en particulier, cette conclusion ne correspond pas aux avis de l’Anses que j’ai pu lire dans des dossiers où j’ai été impliqué.
  • Certains de ces aspects moins documentés peuvent faire l’objet de sous-entendus, de procès d’intention et de surinterprétations des faits présentés. Cela m’a donné un sentiment de gâchis, car cela peut jeter jeter un ombre sur les autres parties du livre pour certains lecteurs ;
  • J’aurais bien aimé que l’auteur propose des points de repères, même qualitatifs, sur les sujets « à partir de quel moment juge-t-on qu’il y a suffisamment de preuves » ou « à quoi reconnait-on la bonne science de la mauvaise science » ;
  • Les éléments présentés sont si systématiquement à charge, alimentant la thèse « on nous manipule », et présentés avec un vocabulaire si finement choisis (qui suggère beaucoup sans dépasser la ligne rouge) qu’en le lisant on a du mal à ne pas se demander si l’auteur aussi ne tente de nous manipuler haha

Photo par Pieter Morlion

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2 réponses

  1. Les doses journalières admissibles (DJA), censées nous protéger, sont basées sur des tests de toxicité qui ne considèrent pas la perturbation du système hormonal. Les effets propres aux perturbateurs endocriniens ne sont donc pas pris en compte… On croit rêver ! « Yapuka » agir par nous-mêmes pour protéger nos enfants…

    1. L’intégration aux Valeurs Toxicologiques de Références (VTR) des effets perturbateurs endocriniens fait actuellement l’objet de réflexions (selon l’INERIS : https://www.ineris.fr/fr/choix-des-valeurs-toxicologiques-de-reference-vtr-methodologie-appliquee-par-lineris), une approche « sans seuil de dose » semble privilégiée.
      Je suis bien en phase avec ton appel à l’action au niveau individuel. Je dirais même que c’est l’invitation de ce blog !

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